"Ma rencontre avec Frida" par Marylou M.
- Par prometheas
- Le 22/04/2020
- Dans RENCONTRES AVEC LES ARTISTES
Aujourd’hui, Prometheas vous propose un article rédigé par Marylou, 17 ans, qui nous raconte comment une initiation à l’art en cours de philosophie lui a permis de rencontrer Frida Khalo et de comprendre son univers, ses amours et ses souffrances.
Ma rencontre avec Frida Kahlo
par Marylou M
Je me suis toujours dit que je ne pouvais pas être touchée par la peinture. Mon jeune âge et mon manque de références me semblaient être des raisons évidentes pour ça. Alors quand on a commencé à parler de Frida Kahlo, en philo, j’avoue que je n’étais pas spécialement intéressée. J’avais déjà croisé ses autoportraits dans des livres; la femme au monosourcil et au regard austère: voilà à quoi je pensais lorsque j’ai rencontré Frida. Jamais je n’aurais pu imaginer toutes les choses qu’elle avait à me dire.
Notre travail sur Frida Kahlo a commencé par un exposé sur sa vie que nous devions présenter à la classe. En faisant mes recherches, j’ai découvert tous les événements malheureux qui avaient jalonné son existence. Ce qui m’a tout de suite frappé, c’est l’accident de bus, durant lequel son corps est traversé par une barre en fer, alors qu’elle a tout juste 18 ans. Elle échappe à la mort mais sa colonne vertébrale est détruite, ainsi qu’une partie de son utérus. Alors qu’elle prévoyait de faire de grandes études, Frida se retrouve soudain alitée, clouée au lit. L’accident arrive sans crier gare, elle ne peut plus marcher, paralysée par la douleur. Elle n’a rien à faire et commence très vite à s’ennuyer. C’est ainsi que Frida commence à dessiner, puis à peindre, depuis son lit. Les possibilités de modèles étant réduites, c’est elle-même qu’elle va représenter sur ses toiles. Cela marque le début d’une longue série d’autoportraits. Pour faciliter son travail, Frida va même jusqu’à demander à son père d’accrocher un miroir à son baldaquin.
L’art devient alors un moyen d’exprimer sa douleur, pour mieux l’accepter. C’est ce qu’elle fait dans La Colonne brisée, un de mes tableaux préférés. J’ai été vraiment émue parce que l’artiste se met littéralement à nu devant le spectateur: elle laisse apparaître sa souffrance physique, avec les clous plantés partout dans le corps et la colonne en morceaux; et on devine son désespoir à travers le paysage aride, désertique en arrière-plan. On identifie également le corset en plâtre qu’elle a dû porter pendant des mois suite au choc. Le message est clair, Frida va droit au but. Elle dresse un portrait impitoyable d’elle-même, exposant au grand jour ses failles les plus intimes. La souffrance que l’on ressent face à ce tableau, pour moi, est universelle, elle peut toucher tout le monde, et cela n’est possible que parce que Frida peint avec ses sentiments.
Mais l’aspect de sa vie qui m’a le plus touchée, c’est son histoire d’amour avec Diego Rivera. Lorsqu’ils se rencontrent, Frida a vingt ans, et vient de commencer la peinture; alors que lui est un peintre renommé qui a le double de son âge. Lorsque Diego découvre les oeuvres de Frida, il est impressionné par la force qui s’en dégage. Cela marque le début d’une longue histoire d’amour entre les deux artistes, qui connaîtra cependant des hauts et des bas. En effet, après quelques années d’un bonheur intense, les choses se corsent. Diego trompe Frida plusieurs fois, et leur complicité s’étiole au fil du temps.
C’est ce que raconte Frida Kahlo dans sa lettre à Ella Wolfe: “Ce qui me rend le plus triste c’est que nous ne sommes mêmes plus amis. Il me ment tout le temps et me cache le moindre détail de sa vie comme si j’étais sa pire ennemie.” J’ai choisi de lire un extrait de cette lettre lors de la Nuit de la lecture du lycée, qui était sur le thème des passions. Le fait de lire ce texte à voix haute, et d’écouter mes camarades lire des textes de Frida Kahlo, était la meilleure façon de s’approprier son histoire. Chacun a choisi un extrait par lequel il se sentait concerné, et parvenait à rendre les mots bien vivants, le temps d’une soirée. Les textes choisis provenaient de deux livres: Frida Kahlo par Frida Kahlo, qui réunit toutes les correspondances de l’artiste, ainsi que Rien n’est noir de Claire Berest, une biographie de Frida sortie courant 2019.
Frida peint « les deux Frida » en 1939 juste après son divorce avec Diego. La peintre, profondément blessée par cette séparation douloureuse, exprime sa souffrance dans ce tableau. Cette œuvre est très originale, le double autoportrait étant plutôt rare en peinture. Ces deux "Frida" dévoilent plusieurs facettes et personnalités de l'artiste. Les premières sont bien entendu, celui de la femme mariée à droite et celui de la femme divorcée à gauche. On peut également y voir la femme féminine et fragile opposée à la femme plus masculine (moustache et menton plus affirmé) et forte.
Ce qui m’a surtout plu chez Frida Kahlo, c’est qu’elle n’est pas seulement “une autre femme déçue d’avoir été larguée par son homme” qui suscite la pitié de son lecteur. En effet, c’est aussi une femme forte, qui s’affirme et devient pleinement indépendante. Ça, je l’ai compris en assistant à la pièce Ni les chiens qui boitent, ni les femmes qui pleurent. Elle a été écrite et mise en scène par Laurence Cordier, et présentée par la compagnie La Course folle. J’ai vraiment adoré cette pièce. Quatre comédiens (brillants, par ailleurs) incarnaient les différentes facettes de Frida. La pièce étant écrite à partir des correspondances et du journal de Frida Kahlo, j’avais le sentiment que les mots prenaient vie grâce à l’énergie des comédiens sur scène.
Le décor était constitué de structures mobiles en fer, qui devenaient tantôt chevalets, lit à baldaquin, murs… Parfois, les comédiens se mettaient à danser, à courir, à hurler, transmettant au spectateur toute la force de vie de Frida Kahlo. Après sa rupture avec Diego, Frida déprime puis, tout à coup, se ressaisit: alors les personnages bondissent, ont des élans d’euphorie, et c’est encore une nouvelle Frida qui apparaît. C’est la femme créatrice, qui décide enfin de peindre et de vivre pour elle-même, qui se rend compte qu’elle n’a pas besoin d’un homme pour exister. Ce spectacle était aussi très beau visuellement, avec mes camarades nous sommes sortis du théâtre des étoiles plein les yeux.
Nous avons aussi eu la chance de pouvoir admirer le journal illustré de Frida Kahlo, prêté gracieusement par notre proviseure. C’est un livre assez rare, et chacun dans la classe manipulait l’ouvrage avec précaution, sous le regard attentif de sa propriétaire. Sur les pages, on pouvait vraiment distinguer toute la rage de Frida: des mots comme “AMOR”, “DOLOR”, “RUMOR”, écrits en grosses lettres colorées, sont clairs, même si l’on ne parle pas un mot d’espagnol (comme moi). Même ceux de mes camarades qui n’étaient pas très intéressés au départ s’émerveillaient devant les dessins, les couleurs, ou l’écriture manuscrite de Frida. Pour moi, ce journal nous permettait de sentir toute la force des émotions de l’artiste.
Bien que l’état de santé de Frida Kahlo se soit arrangé après son accident de bus, celui-ci a laissé sur son corps de nombreuses séquelles. Comme je l’ai dit plus haut, la barre de fer a également endommagé l’utérus de Frida, l’empêchant ainsi d’avoir un enfant. Après plusieurs années de relation avec Diego, elle tombe enceinte. Malheureusement, la grossesse n’ira pas à son terme. Suite à cet événement, les fausses couches se multiplient, laissant Frida désespérée. Cela s’est ressenti dans sa peinture, comme on peut le voir avec L’hôpital Henry Ford. Cette représentation avait choqué à l’époque, puisque Frida donne à voir une fausse couche sanglante, mais il faut comprendre que c’est d’abord l’image d’une femme seule face au malheur qui lui arrive. À ce moment, Diego la délaisse pour ses projets à New York (on aperçoit d’ailleurs la ville en arrière-plan).
De la même façon, quand elle est amputée de la jambe suite à des problèmes de santé, elle traverse une profonde dépression. Pour apprendre à vivre avec ce handicap, elle dessine sa jambe amputée dans son journal. Ainsi, l’art est encore une fois libérateur pour elle, et lui permet de se reconstruire mentalement.
Comme on peut le voir, j’ai pu rencontrer Frida en l’écoutant, en regardant ses tableaux, ou en lisant ses textes… Le fait d’étudier cette artiste en classe m’a permis de multiplier les façons de comprendre son travail. J’ai découvert un parcours de femme peintre qui m’a vraiment touchée, alors que je ne m’intéressais pas vraiment à la peinture avant… Je pense que je m’étais mis beaucoup de barrières, alors qu’on peut tous être émus par l’oeuvre d’un artiste, encore plus quand on connaît sa vie. J’espère avoir pu vous donner envie de vous intéresser à Frida Kahlo et à son parcours, en tout cas croyez-moi, ça vaut le coup!
Un grand Merci à Marylou pour cet article qui nous a présenté un point de vue très intéressant sur la vie de Frida Khalo.
Nous souhaitons apporter quelques éléments complémentaires sur cette artiste engagée, autodidacte, icône féministe et gay de son époque.
Dans un pays où règne le machisme, anticonformiste et libre, elle donne une autre image que celle stéréotypée que l'on attend d'elle. Elle défend la cause des femmes, mène un combat en faveur des minorités, pour l'acceptation des racines indiennes et le métissage de la culture mexicaine.
Inscrite très tôt au parti communiste, elle lutte pour réduire les inégalités . En 1936 elle fonde avec d'autres sympathisants un comité de soutien pour aider les républicains durant la guerre civile espagnole. Avec Diégo elle interviendra auprès du gouvernement pour que le Mexique offre l'asile politique au couple Trotski qu'elle hébergera de 1937 à 1939 dans sa maison de Coyoacàn (elle aura d'ailleurs une brève liaison avec Léon Trotski )
C’est dans certains de ses tableaux, qu’elle va montrer son engagement politique, notamment son attachement au communisme, par exemple dans « Le Marxisme guérira les malades » de 1954 ou encore son anti-américanisme dans “l’Autoportrait à la frontière entre le Mexique et les États-Unis en 1932”.
Vers la fin de sa vie elle écrira dans son journal “je dois lutter de toutes mes forces pour que le peu de positif que me permet mon état physique serve aussi la révolution , la seule raison de vivre”
Pour défendre la condition et l’émancipation des femmes mexicaines, elle veut représenter celles qu’elle décrira comme : “une masse silencieuse et soumise” et dont la place reste encore marginale dans cette société demeurant machiste. l’artiste devient alors une figure de la femme moderne et en profite pour afficher sa bisexualité aux yeux de tous . Femme libre, elle a pu sensibiliser, provoquer et s’exprimer librement à travers son art. Ses peintures lui permettaient de traiter de sujets tabous, dont personne n’osait parler jusqu’alors. Du sexe en passant par l’avortement, les fausses couches ou encore la dépression, ses peintures illustrent les expériences de la vie d’une femme. Elles permettent de mettre une image sur leurs souffrances et les épreuves terribles qu’elles peuvent rencontrer.
Frida Kahlo se permettait tout et n’avait aucune limite, elle ira jusqu’à représenter des organes génitaux. Beaucoup critiqueront son œuvre et la verront comme une réelle marque de vulgarité et d’indécence. André Breton, avant-gardiste du surréalisme, déclara alors que « Son art est un ruban autour d’un bombe ».
Si Frida Kahlo a souvent été qualifiée de surréaliste, elle a toujours réfuté cette étiquette : « Ils pensaient que j’étais une surréaliste, mais je ne l’étais pas. Je n’ai jamais peint de rêves, j’ai peint ma réalité. ». En 1939 Frida se rend à Paris à une grande exposition sur le Mexique organisée par son gouvernement. Elle loge chez André Breton et rencontre les peintres Yves Tanguy, Picasso et Vassili Kandinsky. Mais elle n’aime pas Paris, qu’elle trouve sale, et la nourriture ne lui convient pas. L’exposition lui déplaît également et elle se sent « envahie par cette bande de fils de putes lunatiques que sont les surréalistes ». Par-dessus le marché, on refuse d’exposer ses œuvres, à cause de la crudité des tableaux.
Elle a indiqué ainsi qu'elle ne peignait pas des rêves, mais sa propre réalité, empreinte de symbolisme : des colibris - signe d'espoir et de bonheur dans la culture mexicaine - mais aussi des singes enjoués et des fleurs luxuriantes, comme dans l'un de ses autoportraits les plus célèbres : « Autoportrait au collier d’épines et colibri », une œuvre dans laquelle, selon les historiens d'art, elle souhaitait montrer qu'elle s'était relevée et qu'elle avait commencé une nouvelle vie.
A lire, à voir ou à écouter sur le sujet :
-Podcast France Culture: “Des ailes de mouette noire: portrait en miroir de Frida Kahlo” (Série de 5 épisodes)
- de Julie Taymor : Frida - Film
- de J. M. G. Le Clézio : Frida et Diego - Livre
- Andrea Kettenman, éd. TaschenFrida Kahlo-Livre
Google Arts&Culture propose une visite virtuelle “faces of Frida”de l’oeuvre de Frida Kahlo, https://artsandculture.google.com/project/frida-kahlo
Cette exposition virtuelle et interactive est dédiée à l'oeuvre de Frida Kahlo, soit plus de 800 peintures, photographies et objets en tout genre à portée de clic. L'internaute peut choisir son parcours lui même et examiner chaque moindre détail grâce à un système de loupe ultra précis. Faces of Frida a vu le jour grâce à une collaboration exceptionnelle entre Google et 33 musées internationaux.